And now, will you listen to my story ?"Pourquoi à la rubrique de l'état civil, dans le journal, donne-t-on toujours l'âge des personnes décédées et jamais celui des nouveau-nés ?"
Eugène Ionesco - La cantatrice chauveUn homme d'affaire et un pseudo-mannequin, tous les deux issus de familles aisées. Comment pourrais-je mieux définir mes parents ? C'est à croire que c'est génétique, nous naissons avec une cuillère en or dans la bouche ! Mais l'or a un goût amer, à trop l'avoir sur la langue il vous donne envie de vomir. On a envie de s'enfoncer les doigts jusqu'au fond de la gorge pour que le moindre arrière-goût disparaisse de sa bouche. Vous croyez que l'argent fait le bonheur ? Ah, comme vous êtes drôles ! Bien sûr, on peut s'acheter tout ce qu'on veut et je ne nierais pas que j'aime ça. Mais ce n'est pas avec des biens matériels qu'on peut devenir pleinement heureux.
Mon père n'a jamais été là pour moi. Ce n'était qu'un nom que beaucoup de monde prononçait avec admiration, parce qu'il avait hérité d'une entreprise à la renommée internationale - elle-même fondée par mon grand-père. En plus d'être riche, mon père était un bel homme, à moitié japonais et à moitié américain. Dans sa jeunesse, toutes les femmes se l'arrachaient, excepté ma mère. Je crois qu'entre mes parents, c'était un mariage arrangé. Elle ne l'aimait pas, mais cette union lui a permis de s'installer à New York où elle m'a donné naissance et où elle a fait preuve d'une décadence sans limite. À vrai dire, elle n'a jamais eu de limites. Vous croyez que je tiens ça d'elle ? Comme elle était aussi fainéante, elle n'a jamais vraiment travaillé. Elle a vendu son corps de traînée pour des photographies dans des magazines de mode, elle a vécu aux crochets de mon père, elle a fait sa diva à la maison durant les grands fêtes qu'elle y organisait pour s'occuper parce que son mari invisible, trop absent, l'obligeait à se plonger dans l'ennui lorsqu'elle était seule dans notre villa occidentale...
Pour être honnête avec vous, derrière l'absence paternelle et la folie maternelle, je n'ai toujours été qu'un misérable fantôme.
"Boku wo mite waratteru"
Arlequin - Ano mado ni Osowatta kotoDans les couloirs sans fin, dans les nombreuses pièces, à travers les murs colorés de notre maison, j'ai entendu tant de secrets. Les murmures, les rires, les pleurs, les cris, les souffles de plaisir, je les ai retenus. Il y a eu beaucoup d'hommes chez nous, d'autres que mon père. Mais ma mère était belle, pourrait-on lui en vouloir d'avoir souhaité profiter de sa jeunesse et de ses charmes ? Oh, si j'avais été une femme, j'aurais aimé être aussi séduisante qu'elle! Je l'admirais autant que je la détestais. Elle se foutait de moi et je n'étais rien pour elle. À vrai dire, elle ne savait même pas qui était mon père. C'est une chose qu'elle m'a avoué, ivre, durant l'une des nombreuses soirées d'orgie qu'elle organisait chez nous pour occuper ses nuits monotones. Tout le monde s'empiffrait, buvait ou se droguait, et j'étais toujours là, petit garçon qui observait tous ces adultes décadents. Elle est venue vers moi et m'a dit avec un rire aigu à vous en percer les tympans : « Oh, Saru, Saru ! Mon pauvre petit garçon ! Si tu savais ! Celui que tu appelles papa, je ne sais même pas s'il est vraiment le tiens ! Si tu savais ! Ils ont été tellement nombreux à me passer dessus, à passer sur ta maman, qu'elle ne sait même pas qui a bien pu la foutre enceinte ! Mais une chose est sure, je me serais bien passée de toi ! Ah-ah ! ».
J'entends encore son rire aigu et sa voix nasillarde. Ce souvenir de ma mère est l'un des deux seuls que j'ai nettement conservé dans mon esprit, l'autre étant la vision de son cadavre. Quelle maudite cruche égocentrique ! Cet aveu ne m'a pas blessé, mais elle était si stupide qu'elle ne s'en est pas rendue compte. Je suis même persuadé qu'elle a oublié me l'avoir fait. Qu'importe qui peut être mon père biologique, s'il a été assez idiot pour engrosser ma mère, il ne vaut pas la peine que je le connaisse. Si nous avions su, à cet instant, que c'est moi qui rirait le dernier le jour où elle crèverait, je lui aurais souri avec un air suffisant, plutôt que de rester muet tandis qu'elle s'en allait en titubant.
"Rumours spread like tumours, too too fast and too too true"
Sparks - B.C.Crise cardiaque. Dans les bras d'un homme. Ou plutôt avec un homme entre ses cuisses. Quelle blague ! Ma mère nous aura joué de mauvais tour jusqu'à son dernier souffle... Je me souviens de ce pauvre type à moitié nu déboulant brusquement dans le salon en criant : « C'est affreux ! Je n'sais pas quoi faire ! Aidez-moi ! ». Les autres invités étaient trop saouls ou drogués pour comprendre ses propos. Il leur a fallu une bonne demie heure, si ce n'est plus, pour comprendre que leur hôte venait de mourir. J'ai tout entendu, je les ai vus paniquer et fuir de la maison comme si de rien n'était. Mais je n'ai rien dit. Je me suis couché dans mon lit et j'ai attendu le petit matin. J'ai attendu que la femme de ménage vienne faire son travail et trouve le cadavre de ma mère. Pour une fois, mon père est rentré rapidement à la maison. C'était uniquement parce qu'il avait peur de ce qu'il adviendrait de son image si les gens apprenaient dans quelle posture le cadavre de sa femme avait été retrouvé... Forcément, on m'a interrogé. Que s'était-il passé dans la nuit ? Qui avait été présent à cette soirée ? Est-ce que j'avais des noms, des visages ? Toutes ces questions ont été un pur délice pour moi. L'occasion rêvée pour détruire ceux qui ne m'avaient jamais aimé.
Les noms, les visages que j'avais retenus. Les soirées d'orgies. Ma mère qui prenait son pied avec d'autres hommes que mon père, parce qu'il était trop absent pour pouvoir la satisfaire au lit. Mon père inconnu, parce qu'ils avaient été justement trop nombreux à passer sur ma mère pour qu'elle sache qui l'avait engrossée. Je leur ai tout raconté. Bien sûr, il y a eu des fuites. Quelle grosse affaire que cette histoire d'orgies et de cadavre dans la maison d'un homme d'affaire auquel on prêtait une image si lisse et si parfaite ! Les médias de la région s'en sont fait un festin. Mon père a sans doute souhaité ma mort. Au lieu de ça, il m'a mis dehors. Bien sûr il ne l'a pas fait de lui-même : il a envoyé ses sbires pour se charger de mettre toutes mes affaires sur le pas de la porte. Heureusement, par bonté, il m'a laissé une jolie petite somme pour que je puisse partir loin de chez lui. Avec un an de salaire dans la poche, j'ai pu quitter ces maudits États-Unis. Où suis-je parti ? Au Japon, bien sûr, le pays de mes origines. Un pays que je connaissais très peu à cette époque mais que j'avais hâte de découvrir.
"Let me know when you want to leave this island. Let me know when you want to hear my point of view."
Maxïmo Park - Leave this islandDurant mes premiers mois nippons, mon père, culpabilisant de m'avoir balancé à la rue et craignant de perdre son seul et unique enfant - ou plutôt celui auquel il voulait léguer l'entreprise familiale pour ne pas la perdre -, ne cessait de me contacter afin d'implorer ma pitié. Il déposait régulièrement de l'argent sur mon compte en banque, parce qu'il s'imaginait que la gentillesse et le pardon s'achètent. Oh, je n'en avais que faire de son amour ! J'ai profité de tout ce qu'il m'a donné jusqu'à la dernière goutte. Tout ce que je regrette c'est de ne lui avoir jamais répondu. Cela l'aurait incité à ne pas me couper les vivres du jour au lendemain, sous prétexte que puisque je refusais de reprendre contact avec lui, ça ne valait pas la peine qu'il prenne soin de ma petite personne. Sans le confort de mon cher et tendre géniteur, il m'a fallu trouver un emploi et cesser de jouer les baroudeurs à travers le Japon.
Kyoto fût donc mon point d'atterrissage. Dans une petite galerie d'art, on y proposait de faire le ménage. J'ai obtenu le poste avec joie, m'imaginant que ce serait un emploi tranquille où il me suffirait de passer le balai lorsque la galerie serait vidée de ses visiteurs. Ah, si j'avais imaginé à quel point il peut être fatiguant de faire le ménage ! C'était une chose dont je m'abstenais chez mes parents, car nous avions toujours quelqu'un pour le faire à notre place. Il ne m'a fallu que quelques semaines pour être lassé de cet emploi, à tel point que j'ai hésité à quitter la ville, voire le pays pour retourner aux États-Unis. Je serais revenu chez mon père et je me serais mis à genoux en m'excusant de ne pas lui avoir répondu plus tôt, que j'étais si mal après qu'il m'ait rejeté que je ne savais plus comment lui répondre, ni comment me montrer digne d'être son fils. Les choses seraient alors redevenues comme avant, et ma petite vie aurait repris son petit quotidien, sans le moindre effort de ma part. Ah ! Inutile de croire en cette jolie mascarade. Vous savez quoi ? Je suis finalement resté au Japon, et cela grâce à une charmante demoiselle.
"They say that one day something good will happen for us
But who the hell decided that?"
MERRY - Carnival (traduction en anglais)Rares étaient les fois où la galerie d'art respectait ses horaires d'ouverture ! La majorité des visiteurs étaient des habitués, et ils avaient la manie de rester après la fermeture pour passer du bon temps avec le propriétaire, organisant des petites soirées improvisées. Parfois, j'avais l'impression de retrouver l'ambiance de la maison de mes parents, lorsque ma mère vivait encore. La seule différence, c'était l'absence d'orgies dans tous les sens du terme. Bien entendu, je me retrouvais à faire le ménage en présence de tous ces gens. Je me faisais alors invisible, fuyant ceux qui tentaient de m'aborder. À vrai dire, avec mes étranges manières, je crois qu'il m'était difficile de passer inaperçu.
C'est durant l'une de ces soirées que je l'ai rencontrée. Elle était là, à me fixer avec le sourire aux lèvres. J'ai tenté de la fuir à plusieurs reprises, en vain. La demoiselle était obstinée ! J'ai donc fini par la laisser m'approcher, songeant que je n'aurais qu'à me montrer ennuyant pour qu'elle m'abandonne. J'ai joué les pessimistes qui vous ennuient à mourir, en lui racontant ma lassitude au travail et mon souhait de retourner aux États-Unis. Elle m'a écouté en silence, me laissant croire qu'elle commençait enfin à s'ennuyer. Quelle erreur ! Son intérêt pour moi était toujours là, et elle a profité de mes propos pour me présenter un marché. Finalement, elle ne semblait pas aussi guindée et inintéressante que les autres invités. Je me souviens que je me suis approché d'elle pour l'écouter et que j'ai senti son agréable parfum. Son charisme était tel que j'admets avoir été rapidement séduit par elle. Avec un hochement de tête, j'ai approuvé sa proposition, puis sans un mot, je me suis éloigné.
Vous savez, je possède toujours un tube de rouge à lèvres sur moi ! On ne sait jamais, ce type d'objet peut avoir son utilité. Et pour preuve ! Je me suis approché d'un des tableaux qui ornaient les murs de la galerie. Comme si j'étais devant un miroir, j'ai couvert mes lèvres d'un rouge sang. Mais ma bouche ne m'a pas suffit. Calmement, j'ai couvert à son tour celle du jeune homme qui était représenté sur la toile en face de moi. Le modèle était bien plus joli ainsi. Il me donnait envie de me pendre chaque fois que je croisais son regard triste de merlan frit ! Personne n'a su reconnaître mon art ce soir-là, et pour cause, j'ai été viré sur le champ. Seule ma charmante camarade semblait satisfaite de mon œuvre. Qu'importe, je savais que je venais enfin de trouver une raison de ne pas retourner chez mon père.
"Can you be happy with the movies, and the ads, and the eyes as you walk down the street all telling you there is something wrong with you? No. You cannot be happy. Because, you poor darling baby, you believe them"
Katherine Dunn - Geek Love[UNDER CONSTRUCTION]
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